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Réfugié Intérieur

N’ais-je pas fui, en fait,
Ce sentiment étrange qui revient
D’une fin trop proche
Pour être moquée ou oubliée ?

Me voici au calme,
Entre des murs familiers
Près de nos cloches gravées
Qui sonnent dans le vide

Ces ruelles pentues,
Fines comme des boyaux
D’une termitière délaissée
Ou le vent s’amuse

Des noms de rue vifs, simples,
Modestes comme la vie
Pleins des lumières d’avant
Du sourire des anciens


J’ai donc choisi moi-aussi
De m’enfuir – mais vers moi-même
Loin des vagues qui grondent
Vers ces vieux pavés

Rue des Chandeliers :
On s’imagine les sentir
Complotant au soir
La fin de la nuit

La petite Rue du Temple :
Elle s’élève tel un psaume
Vers le portail verrouillé, placardé
De l’église – d’où même Bach fut chassé

Oui, je suis un réfugié !
Loin des rues conquises, des faveurs, des rançons
Des recoins hostiles, négligés
Qui crachent quand j’ose passer

Mes racines à moi, mes terroirs
On les a donné à d’autres
Les grands d’Orient, alliés, ont gagné
Et la ville entière penche

Montés des campagnes servantes,
Comme des Witte de Zichem
Mes anciens ont prospéré
Aux rives de la Senne

Le Rieu du Moulin, celui des Ciseaux
Les caricoles, les nougabollen et le moka
Les drogueries du Coin Jaune
Fortune de notre petite patriarche

S’enfuir à nouveau ?
À la recherche d’une vie paisible
Loin des sourires fourbes, des satisfaits,
Des intentions cachées ?

Vers les mis au ban, au loin
Les mis en home, en appartement équipé
Cet archipel gris et morne de nos chers exilés
Loin de ma source, de ma fierté ?

Non ! Ey benek, ey blavek !
J’ai couru vers ton cœur, ô Cité
Vers tes collines, tes marais,
Tes pignons de brique et de sable

Tu fais maintenant la joie d’autres
- parce que ton visage change
Leurs yeux et leurs boucles en miroir
Valent bien les nôtres

Moi, ma joie - en écho
Je la sais un peu amère, honteuse
Nos familles à nous se fanent
Taillées à merci, épuisées par l’argent

Et cette fin tant voulue
- Par les goulus, les califes et les banques
De nos lignées trop rebelles
De nos antiques fiertés

Et me voici, aux pieds du vide
Ma mémoire, mes souches vouées au Diable
Par ceux qui se divinisent
Leur palmarès, leur pédigrées

Sera-ce une fin muette
Un lent holocauste, embrassé par bêtise ?
Ou une révolte tarie, écrasée
Par leurs nombres triomphants ?

Mes anciens ont résisté, hué, saboté
L’envahisseur violent
Des médailles d’honneur, et la mort
Sont leur futile blason – ni fleurs ni couronnes

Mais le futur – le répit plutôt
qu’il nous ont laissé, sang versé !
A été mis en gage, et perdu
Pour quelques barils, mignons, lingots, diamants

Ton visage changera encore
Parée de mille couleurs – sauf une
Bach, Mozart et Beethoven
Rayés des rayons, des places et des bacs

Mais moi, je murmurerai encore
Tes chorals, tes cantiques merveilleux
Longeant ces ruelles sans âge
Me cachant, à peine, des nouveaux seigneurs

Et chaque soleil se lèvera
Sur mes souvenirs vilifiés et moqués
Comme une dernière caresse
Apaise la peur du mourant

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