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Point de Chute

Je me souviendrai d’oublier
Jusqu’à en nier l’oubli
L’été passé - sa fièvre solaire
Qui me vit mort chaque soir

Cet étrange, fuyant pèlerinage
Ce départ dans la hâte
Comme pour ma propre Pâque
Chargé de mon trésor

L’errance dans la maille
Des rues en bataille
Cherchant passage sûr
Vers ma Terre Promise

À gauche, à droite !
L’appât des errants
Contre l’airain des signes
Sertis en mes Psaumes sacrés

Le craignais la tombe
D’une nuit sans lois
À la merci des bandes
Des voleurs, des faux rois

Je m’épuisais en questions
Me perdais en volte-faces
Ne voulant rien perdre
Ne rien lâcher aux ténèbres

J’ai abandonné ma honte,
Ma gène, ma forme
Je l’ai laissée aux bords
De tablées qui m’épient

Comment te rejoindre,
Ô Jérusalem qui m’appelle
Par la harpe et les vers
De David, le Roi oint ?

La nuit se hâte de tomber
D’éteindre mon feu d’égaré
Je cours frapper à la porte
De mon frère bien-aimé

Je lui confie en transe
Le trésor de ma vie
Mon Opera Tota
Dieu la gardera à présent

Au matin je m’échappe
Des lits hospitaliers
Par peur des aubes blanches
De leurs poisons, de leurs verdicts


Me hâterais-je vers la côte,
Ou vers la haute montagne ?
Vers quelque refuge sûr,
Loin des villes roublardes !

Tel sigle, tel bruit
Me semble toujours une issue
Une porte, le long du chemin
Une grave embûche évitée

Mais d’abord :
Dire Adieu à ma mère
Saluer mon vieux père
Revoir le jardin

Alors, par les chemins de traverse
Les champs, les haies et bosquets
Se cacher du monde
Avancer tel un rôdeur

Ce jour couché
Parmi les joncs, les ronces
Après la pluie fine
Attendre le soleil

Arriver, au soir, chez moi
La maison de mon enfance
Et n’y sembler revoir
Que trahison, poison, fiels hostiles
Écartelé entre méfiance et confiance
Père ou Mère tu honoreras ?
Non pas le Saint Commandement, mais
Dilemme imposé par ce Monde mauvais

Fuir le lieu à oublier
Accepter la déchirure
Entre mon passé et mon futur
Le prix de l’exil

Partir au creux de la nuit
Escorté de lumières - ombre immense
Fier, et inquiet, d’être vu
Même par les étoiles !

L’aube venue, en route
Salué par les fleurs, les rayons
Par le vent, les nuages blancs:
Partons pour Sion !

Cette nuit ensuite, sous les arbres
Les chênes, plus justes
Plus nobles que l’herbe froide
La morsure du froid sombre

Avancer de croix en croix
Te demander mon chemin
Voir se déployer les lueurs,
Les astres et les ombres

Marcher vers le bout
De cet écroulement du sort sans fin
Avec Toi, ô Dieu Éternel
Comme mon seul guide

Mes yeux fatigués, au soir
Referment les Psaumes familiers
Et je dois avancer aveugle
Mot à mot, pas à pas

Me cacher des rapaces
De l’acier qui strie le ciel
Des lumière rases – me cherchant ?
Qui courent l’asphalte

Comprendre le monde
Au moindre signe épars
Posé sur la feuille des temps
Par Ta providence

Chercher la douceur
Ou poser, un peu, ma tête
Tu ne me mens pas :
Je trouve un bon lit, d’herbe sèche

Au matin : voilà les couleurs
De l’aube que je suivrai donc
Cap pour Anvers
Mon salut m’y attend !

Mon sésame bancaire
M’ouvre encore la porte
D’un train de banlieue
Qui part vers le nord

Suis-je aussi passé par Louvain
Voir qui m’y veut encore ?
M’attabler à une table amie
Que je découvre étrangère

De quoi sais-je me souvenir,
De quelle porte frappée,
De quelle maison abordée ?
Vers où dois-je fuir ?

Éviter les pièges
Tendus par les torves
Les trappes, les oubliettes
Ou se perdrai mon art

Abandonner, chaque fois
Mon propre habit rêvé
Ne garder que les hardes
De couleurs sacrées

À la fin, sous l’emprise
De voix vraies ou fausses
Jeter au hasard mon bâton de sagesse :
Mon petit livre de Psaumes

Dès cet instant je me sais
À la merci de moi-même
Et d’autres, bien plus forts
Dieu ne me guidera plus

Plus d’argent en poche
Deux sacs pesants,
Pleins de réserves illusoires
Mes clefs, ma dernière sauvegarde

Dans la métropole inconnue
Je me hasarde au gré de mon courage
Tiraillé entre peurs et vices, remords
Menacé par ma conscience, épuisée d’orgueil

Je cherche le salut, ma dernière chance
Sur les flancs de lumière de Sion,
Je cherche, j’erre, me perds et me retrouve
Dans une impasse du Caire, ou de la Mecque

Non ! Dieu, ne me laisse pas
À la merci de l’esclavage d’Égypte
Sous la botte d’une foi dure
Loin des saints, des amis, des prophètes

Dois-je disparaître dans ces trous
Ne plus pouvoir te chanter
Te louer, ô Éternel, par mon art
Te chercher dans la Beauté, la lumière ?

La nuit se passe, tiède et lourde
Et je n’ai pas de repos
Les pubs, les impasses, les ruelles…
Je m’accrocherai à la foule du matin

Est-ce le jour suivant,
M’étant abandonné à tout bruit, toute voix
Que tu me retrouvas débris
Parmi les détritus, couché sous les arbres

Avais-je couru tous les boulevards
Les feux, les passages, les quais
Comme un homme perdu, sans tête,
À la quête du signe parfait ?

Me suis-je rompu et épuisé
À hésiter, à me tromper de voie
À la suite de tes anges empressés
De m’offrir une issue, bien qu’imméritée

Miracle tissé de main d’homme !
Ballet bienveillant et merveilleux
Où je me sentais impie et importun
Indigne de ces légions amies

Se disputait-on mes restes,
Mes promesses vaines d’homme chassé
De lieu en place, de quartiers en guerre
Ou n’étais-je que risible ?

Je me savais, de pas en pas
De tournant en revirement
Presque acculé à gravir le Mont
Où je rêve de Te trouver enfin

Un pan de clarté inconnue
Un bout de chemin jamais emprunté
Toujours craint, fui ou même honni
Une cité cachée jusque-là à mes yeux

Pourrais-je m’y reposer,
Y trouver paix et répit
Y réparer mes fautes

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