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L’autre Vie

Ô mon âme,
Ô mon frère
qui te caches en moi

Prie et intercède
Que je t’offre, à toi et à moi-même
À ceux qui ont si soif
De temps en temps
Un jour par-ci, un soir par-là
Un petit morceau
de l’autre vie :

Celle qui aurait du être
Celle qui aurait pu se passer

Cette vie faite de fêtes
De dîners au jardin
Jus de fruits et melons
De gamins qui gambadent
Dans les herbes coupées
Qui au soir,
Veulent encore et encore jouer

De nuits de veillées
Autour d’un sapin étoilé
Dans les yeux d’une fillette
Le reflet joyeux du ciel
Et sa sœur qui dort
Déjà, dans ses bras

Cette aventure au loin
Embarqué dans un bus,
Un train ou une petite barque
Au chevet de châteaux,
De vieux arbres et de champs dorés
Entourés d’amis scouts
Chantant au soir vers le firmament
Un feu qui danse au milieu d’eux

De matins d’école gris
Contents de retrouver les copains
De revoir une si belle voisine
De bulletins et de soirs d’études
Les grands se grattent la tête
Devant leurs moineaux fatigués
Sur des équations simples

Et puis, aux temps de fin
Autour d’un lit de vieillesse
Des adieux graves et précieux
Des larmes, et un baiser de fils
Comme un bagage
Comme une bouée pour l’abysse
Un dernier regard
Pour les grands départs

Oublie, oublions cette vie-ci !
Cette trainée de regrets
De fautes, de crimes, de rejet
Cette amas de dettes, de peines
De larmes qui brûlent la nuit
Nos joues creuses,
et tordent nos traits

Oui, chacun à payé
Ce qu’il devait
Ce qu’il a pu
Une dette bête et sombre
Comme un calcul pingre
Des sous tenus fermes
Comme à un orgueil de pauvre
Payé, rendu, extirpé
À soi-même ou à sa chair
Comme une nuit de vengeance
Cauchemar en éveil
Qui mange l’espoir
Qui bannit le matin
Comme un retour lassant
Du mal, de sa victoire sans fin

Et notre temps ?
Il a passé
Cette vie mangeant en silence
La part de l’autre vie
Emportant dans son vide
Notre jeunesse, corps et esprit
Même son bon souvenir
De matins au jardin
Sous le chant des oiseaux
De midis brûlants au lac
Apprendre à nager,
voir un poisson glisser sous l’algue
Tenir droit sur son vélo
Grâce à l’aide de tonton
Lancer en l’air un chapeau
Sur une place de Faculté
Emmener tes parents
À un soir de gloire

Me voici, ô mon âme
Ô mon frère inconnu
De mes larmes, je t’écris
Quelques lignes seulement
de cette autre vie,
Celle qui a disparu
le long du chemin
Celle qu’on a jamais retrouvé

Peut-être était-elle toujours là
À nous attendre
Cette si belle petite vie
Seule, et presque déjà partie
À la croisée des bois
Et des champs de blé montant,
là-bas…

Là où, avant, s’embrassaient en secret
En éternelles victoires,
Le regret et le pardon

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