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Esquisses
du Maroc

Traversée

Du mont âpre de Tariq
Je traverse tes doux flots
Vandale neuf, frère d’Erik
Passager, naïf matelot

Mer ! de nous tous enceinte
Tingis et ses tours te gardent
Soleil ! d’éclats clairs tu teintes
Sa rade pour son Belge barde


Retrouvailles

Ce bac, d’un choc accosté
Est gros d’une foule lasse
Essaim, de viatiques lesté
Échappés de galéasse

Mères ! Vos bras doux et moites,
S’ouvrent aux bambins aimés
Frères ! Dos courbes, nuques droites
Accolades d’êtres manqués


Terrasse de poètes

Verre teinté, menthe écrasée
Souffle de l’océan bleu
Sourire d’un garçon empressé
Boucles de jais en œil de feu

Silences et regards de tiers
Attablés, visages sans âge
Les murets ploient sous la lumière
D’un soleil blanc, roi sans partage


Jour de marché

Sucs poisseux collant aux pieds
Je me perds en ces dédales
Senteurs de mers, de crustacés
Charrieurs ventrus, têtes de squales

Le pain frais du jour attend
Écrin croquant mordoré
La morsure d’un croc gourmand
L’huile coulant de fûts bombés


La pêche aux miracles

Brocs de béton et rocs moussus
A demi-nus, gamins bronzés
De leurs sveltes harpons pointus
En veulent aux crabes orangés

Moi, emmaillotté de honte
Je me risque à un plongeon
Frileux, en cette mer qui monte
J’ai l’air d’un rouget à bedon !


Le vieil arbre

De sa place, le seul garde
Vaste flamme de mille lueurs
Vers le ciel - car la pluie tarde
Un amandier prie par ses fleurs

A son pied gît son trésor
Tapis d’éphémère valeur
Mille pétales blancs liserés d’or
Qu’emporteront un vent voleur


Brumes du rif

La camionnette bosselée
Qu’un moteur las à peine aide
Le long d’une vallée embrumée
Grimpe sans fin ses boucles raides

Mille buissons secs et rongés
Sont de l’Hermite la parabole
Là-haut, dit-on, vit un berger
Seul avec Dieu et sa parole



Fleurs de l’Atlas

Fais-moi ce petit détour
Aie pour moi ce simple égard
Au bord du sentier sans retour
La fleur nous toise de son regard

Son panier blond, lourd de noix
Pour ce soir doit être vendu
Face à ses yeux, je suis sans voix
Et je casse mon billet, ému


Dédale oublié

Je me perds, je m’égare
Tes filets torves, tendus
Pour qui ose sortir si tard
Pris entre tes murs pentus

Et j’erre, dans mon insouciance
Ignorant la peur du soir
Dans ta vielle casbah immense
Bord de gouffre, peur de choir


La petite mosquée

Une porte si modeste
Comme d’un pauvre la tombe
Qui en son dernier geste
Auprès de son chien tombe

En offrande aux assoiffés
Dans une niche de carreaux verts
Tu offres l’eau aux purifiés
Parvis divin, Ô ancienne ère 
Les épines tenaces

Au long d’un chemin - assoiffés !
Un régiment de figues barbares
Résiste à nos poings - zélés !
Quartiers de sucre aux mille dards

Mais nos doigts trop impatients
Ignorant leur garde - fine !
L’engloutissent sans ménagements
La douleur suivra - maline !





Le temple parmi les vagues

Vaisseau de pierre ciselée
Amarré aux confins d’une terre
Tu clames, émeraude fière, dressée
D’un Roi l’armada solitaire

Tes charpentes merveilleuses
Ouvrage du meilleur des Arts
Bénissent du ciel tes foules pieuses
De mille couleurs qui se chamarrent


Fraicheur et ombres

Ocres et blancs, multitudes
Casées en de nouveaux monts
Pour nos jours de vicissitudes
Casablanca, tu es ton nom

Aux bords de tes longs boulevards
Une garde de maigres palmiers
Salue les passants sur le tard
De leurs couronnes desséchées


Ruelles de Fès

Sainte cité, ruche des sages
Par tes temples tu m’éblouis
Où tes secrets, au long des âges
Sertissent ton cœur de livres gris

Nobles courtils de bois brûlé
Dalles usées du pas des maîtres
Cénacles d’élèves envoûtés
En prières, de tout leur Être


Noces de miel

Ma chambrette s’ouvre sur la nuit,
Je brûle de me joindre à la fête
A cette arène qui reluit
De diadèmes sur chaque tête

Et moi, pauvre Ibliss tapi,
Je me rêve d’y être invité
Ah ! Ce bal joyeux, blotti
Au sein du foyer envié


La prière du matin

Dans tes ruelles endormies
Je me presse au petit jour
D’aller quérir tièdes mies
Nez levé, effluves des fours

Or, je croise du regard
Le vitrail d’aube nimbé
Abritant l’humble égard
D’un priant, seul, prosterné


La grande porte de Rabat

Murmure du ciel tombant
Une ombre rose t’enveloppe
D’un voile qui s’échappe de tes pans
A l’heure ou ferment les échoppes

Tes lourds arcs de majesté
Qui virent s’incliner les princes
Ferment la ville au jour passé
Soleil ! Salue-la d’un rai mince !


Aux sources du Draa

Le froid des cimes me surprend
A quelques collines du désert
Et cette neige, miracle blanc
Accouchant d’un fil d’eau claire

Traçant un collier de vie
Dans les champs et vals fleuris
Perles de jade alanguies
En havres aux bétails meurtris


Joyeuse entrée du roi

Youyous et fifres, timbaliers !
Le souverain visite ses lieux !
Enfants rieurs, nobles alliés
Que vos chant montent vers les cieux !

A vos cuivres, sonneurs royaux !
Voici le Maître et son cortège
Passage d’un précieux joyau
Entonnez vos virils arpèges !


Extases nocturnes

En un rêve qu’on n’ose dire
Je vécus un trouble extase
Qu’on aimerait à maudire
Telle la ruine que l’on arase

Corps à corps tant interdits
Âges sans fards et peaux glabres
Cette douceur qui m’a surpris
Anges sur le fil des sabres



Vision au désert

Ce souffle sec, de fin en fin
Regard touchant le bord du monde
Ces rocs consumés, tel le grain
Vagues de sable en morte onde

Et puis, à l’abri d’un caillou
Un petit Eden surgit…
Jeunes feuillettes au duvet doux
Et cette fleurette qui me sourit 
Louanges éternelles

Ce Nom, mystère familier
Qui fait pourtant trembler les anges
Et qu’en cette terre adoriez
Vaincra toujours la noire phalange

D’Ibliss, de ses sombres ires
Oui ! Dieu triomphe des malins
Par l’amour, les clairs sourires
De purs seins, chants enfantins

Parfums de palais

Par-delà un mur sans pitié
Que nulle trouée ne surprend
Une subtile ondée d’arbousier
Verse en rue son doux présent

Je passe, et le lève le nez
D’où viennent ces suaves accents?
Ce sont chants de fleurs bien-nées
Fontaines de paradis galants !

Le plat du pauvre

D’une main aux recoins osseux
Il taquine les filets blancs
De gras merlus aux yeux aqueux
Nageant en leurs jus bouillants

Le citron mûr m’emplit toute l’âme
De la joie des tablées d’antan
L’encre de mon vieux calame
Tremble encore, jeune comme ce temps




La tourelle

Pignon pointu, tête d’angle
Mérinide ou Andalouse ?
Du fort qu’un mur étrangle
Tu es la pique jalouse

Des empires entassés
D’Orient et d’Occident
Tu es le cri oublié
De l’esclave agonisant 
Portier des Palais

Élus en leurs palais dorés
Passent devant ton sourire sobre
Ignorant ton cœur enflé
De feux carmins, de vents d’Octobre

Et toi, Maître aux planches cloué
Tu servis les grands des mondes
Par l’œilleton de gonds fermés
Euterpe et sa grâce des ondes

Le panaché

Ton-sur-ton de pulpes fraîches
On t’avale en deux gorgées
Comme dévale sur roche sèche
Un torrent de pluies givrées

Mais, le regard des amis
Allume d’un sourire fuyant
Ce frimas de fruits meurtris
Pour nourrir discours ardents







L’appel au soir

Et voilà pourquoi je vins,
Des champs mornes de mon aire :
Entendre l’appel divin,
Prêtres de votre foi mère !

Ces arcs qui brisent la nuit
Et ravivent le cœur humilié
Vos volutes chassent le bruit
De l’obscur Diable oublié



Fête au village

Fête d’huile, jour de miel
Raisins secs, grasses amandes
Ciel sans un nuage ni fiel
Chantez donc, bouches gourmandes !

C’est grand jour, place du village !
Plateaux d’argent, monts de délices
Henné ornant mains sottes ou sages
Signes secrets d’amours prémices ? 
Le fou au bord

Dans ta ruelle ravinée
Tu t’es fait ton refuge
A l’abri d’une froide ondée
Toi, que la vie même gruge

Mais, une nonne furtive, courbée
Face aux passants - visage durs
Te fera la dîme, observée
Par les âmes droites - les cœurs purs




Les murs bleus

Cœur de glace en terre brulée
Serti de cyans vainqueurs
Plainte de Sion l’oubliée,
Ou victoires, divines splendeurs ?

Mosaïque d’eaux bleues figées
Tes murs creusent la paume des mains
Tels des conques de vie cachées
Tu m’aveugles aux lendemains



Un visage d’ange

Un garçon brun, au regard clair
- Sur son nom la paix repose
A le rire franc d’un être cher
Quand à mes blagues je m’ose

A l’arrière de notre groupe
Il traîne le pas en rêvant
Il est le farceur de la troupe
Joli farfadet charmant



Les larmes d’une mère

Une maman guide son enfant
Parmi les embruns d’une plage
Vers les sables il va, jouant
Ignorant les dangers de l’âge

Or, au soir, sa mère l’appelle
A la maison il faut rentrer
De l’enfant, plus que la pelle…
Une tombe marquera le rocher



Silence de l’artisan

Ses mains maigres ont tout fait
Avec fierté et patience
Son travail frôle le parfait
Craignant, du maître, sentence

Et, le temps a accepté
Que les murs sacrés portent
Aux siècles l’ouvrage achevé
Joignant l’illustre cohorte

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