Nestor
Nestor, aux cheveux gris,
Neuf ans qu'il est içi
Il lui faut bien manger!
Voici donc son métier:
Levé de bon matin
Se coupe une tranche de pain
Prépare une infusion,
Une tisane, un thé blond
Enfile écharpe et veste
Puis s’élance d’un pas leste
Ratrapper le métro
Qui file vers le boulot
Grinçant sans un détour
Vers le pied de la tour
Qui au petit matin
S’emplit de mille larbins
Qui contre gros salaire
Font tourner d’un grand air
Les milliards par millions
Liquides tourbillons
Mais, plus modestement
Notre Nestor s’entend
A la noble pratique
Du design graphique:
Derrière un écran plat
Dégradés et aplats
Naissent de main experte
Jaugés d’un oeil alerte
Brochures et revues
- Souvent à peine lues -
Sont par lui mises en page
Selon une règle sage:
“Du légume gros et gras
Qu’un bout tu montreras
De la fleur si belle
Moins qu’un chouia révèle”
Car Carine nous l’assène
Toute cette mise en scène
Doit rester fort abstraite:
Pas de flore trop nette!
Telles sont les joies tristes
D’un infographiste
Du matin jusqu’au soir
Il est fondé de pouvoir:
Agencer paragraphes
Composer épitaphes
Pour l’argent tout le jour
Par passion au retour
Quand au soir il dégaine
La plume dans l’encre ébène
C’est lors la vie qu’il couche
Sur le papier par touches
Visages en vérité
Patiemment crayonnés
Ornant les murs jaunis
De son étonnant nid
Qu’il mit quelques années
A peindre, à poncer
Peaufinant, sans cesse,
Son Orient Express!
Encore quelque patience
Bientôt fortune immense
– Cette rente tant espérée
Par l’éditeur versée –
Rendra notre Nestor
L’heureux conquistador
Non pas d’une dense Mecque
Mais d’une belle île Grecque
Minuscule et rude caillou
Frolé par les vents si doux
De la calme mer Egée
Nappe à peine ridée
Par tel gentils dauphins,
Ou barques en bois peint
Qui viennent apporter
Les amis à dîner
Car quand tombe le soir
On grille des calamars
Qui ce jour même péchés
Viennent à terminer
Leur vie dans notre assiette:
On n’en laisse miette!
Ah! quel songe lointain…
Presqu’à portée de main
Qui sait ce que réservent
Aphrodite ou Minerve?
Coup de coeur ou de pouce
Le destin peut en douce
Faire advenir le jour
Où ce sera le tour
De notre bon Nestor
– Je veux dire: Théodore!
De prendre le large,
Bagages comme charge
Et de ne point revenir
Des rives de son désir…
D’ici là, bon courage
Demain: mise en page!
D’un ami
fort étourdi,
Dimitri
Dimitri Arnauts
Le 1 Décembre 2011